mardi 2 octobre 2018

Janvier 1916 - Permission à Bruay

J'ai vu les molettes de la fosse n°5 de Liévin. 

Pages 75 et 76 du carnet de Léon Mellard

(page 75 Si Hélène n'y est pas, peut-être pourrai-je avoir des nouvelles)
par d'autres Liévinois.
Nous changeons de secteur, paraît-il, on va occuper des tranchées à 4 ou 5 km à droite de celles (d') où on vient.





Bruay le 21 Janvier 1916 :
Me voici parmi mes parents, mes sœurs et nièces depuis lundi 17 à 3 heures. J'ai vu quelques personnes de Liévin. Je suis allé hier à Hersin Coupigny avec ma mère et ma sœur. J'ai vu les molettes de la fosse n°5 de Liévin. J'ai souffert et je souffre beaucoup d'être si près et de ne pouvoir voir, embrasser ma Bien Aimée.
De tout mon cœur comme je t'aime.
Je suis heureux d'être parmi ma famille mais combien il me manque pour être complètement heureux.
Mon Dieu, protégez ma Bien Aimée, secourez la, sauvez la !
Je prie matin et soir pour toi, Hélène chérie. Que Dieu te vienne en aide. Je t'embrasse mon amour, de Bruay de tout mon cœur, de toute mon âme, de toutes mes forces. Je t'aime et t'aimerai toujours quand même, toi seule, toujours, toujours, jusqu'à la mort.
Vivement la paix, la victoire, le retour près de toi.

Rien encore d’Élise.

(page 76)
Dimanche le 23 Janvier 1916 :
Je viens d'aller à la messe de 7H. J'y ai bien prié pour ma Bien Aimée, Hélène et pour ma sœur Élise.
Je suis allé à Auchel hier après-midi avec ma mère et Rosa.
Je m'ennuie énormément ici loin mais plus près de toi que d'habitude.
Quel malheur ! En ce moment où je devrais être si heureux près de toi si une frontière infranchissable ne nous séparait.
 Quand donc pourrons nous nous embrasser de tout notre cœur ? Comme nous nous aimons !
Mon Dieu faites que ce soit bientôt, vite, vite. Faites que j'en aie au moins des nouvelles et qu'elle soit en lieu sûr.
Si je pouvais seulement t'écrire, ma Bien Aimée, comme je serais heureux, comme le temps me paraîtrait moins long.
Je pourrais t'ouvrir mon cœur, te dire encore et toujours mon amour pour toi mon ange.
Que Dieu te protège, qu'il te donne le courage de supporter toujours avec espoir et confiance cette terrible épreuve.




(page 77)
Qu'il te garde la foi et la pureté, l'amour.
Nous qui souffrions d'être séparés, toi étant de La Madeleine, qu'aurions nous pensé si nous avions su ce qui devait nous atteindre maintenant.
Quel malheur, et comme je suis malheureux mon amour d'être ainsi loin de toi qui est toute ma vie, mon bonheur, sans nouvelles, sans un mot d'encouragement, sans un baiser.
J'espère et cela seul me fait vivre. J'espère te retrouver en bonne santé, j'espère que les obus t'auront épargnée et que, depuis longtemps déjà, tu as quitté Liévin, le berceau de notre amour, de notre bonheur.
Je vais écrire à quelques Liévinois rapatriés afin d'avoir, si possible, des nouvelles de toi.
Je repars pour le front, pour les tranchées entre Berry au Bac et Reims mardi matin
Je compte voir ma sœur en passant à Paris et arriver aux tranchées face à Hermonville jeudi matin.

Je t'envoie de Bruay un milliard de baisers comme ceux de La Madeleine.

(page 78)
Samedi le 5 février 1916 :
Ma Bien Aimée, je puis enfin t'écrire quelques mots sur ce carnet.
Je suis rentré de permission vendredi dernier au matin. J'étais aux tranchées à 10H.
Je suis maintenant au village au repos de garde comme planton au lieutenant de cantonnement. Le lieutenant est parti et je profite de l'encre pour t'écrire vivement.
Je suis en bonne santé. J'ai écrit il y a quelques jours à un nommé Bizeau Henri de Liévin rapatrié et réfugié à St-Vallier (Saône et Loire) . Je lui demande des nouvelles de toi et tes parents. Que va-t-il me répondre ?
Comme j'ai souffert, mon amour, quand, en permission si près de toi, je ne pouvais te presser sur mon cœur. Quelle torture de te savoir séparée de moi par une barrière infranchissable, de te savoir là, dans notre pays natal, en butte aux obus, à la mitraille.
La mort te guette et à chaque instant de te savoir en butte aux brutalités les plus viles, Oh, mon Dieu ce n'est pas possible !
Ma Bien Aimée ne peut souffrir (tout cela.  Mon Dieu protégez la, secourez la, sauvez la.)

Notes et commentaire :
Les molettes sont les poulies au chevalement (chevalet) d'un mine
Voir ici




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