lundi 8 octobre 2018

Juillet 1915 - Blessure et mort du frère

Je ne pourrai pas aller en permission maintenant, il en part un par jour par ordre d'ancienneté au 127°. Je suis le 150° environ.

Pages 51 et 52 du carnet de Léon Mellard
 (page 51)
(Hier une patrouille est allée) planter un piquet avec des journaux et une lettre attachés en haut, et ils ont mis un pain à côté. J'ignore ce qu'il y a d'écrit sur la lettre, quant aux journaux il y a 'Le Matin' et 'Le Petit Parisien'. Le paquet a été mis à une centaine de mètres de la tranchée allemande.

Avant hier un obus est tombé dans le poste d'écoute voisin, mais n'a pas éclaté. Ceux qui y étaient l'ont échappé belle.
Je monte la garde au poste d'écoute tout le temps.





(Mon) frère Pierre a été blessé le 26 avril à 6H (du) soir au Bois des Caures près de Verdun. Il a été blessé dans le dos par un shrapnel. Il est à l'hôpital à Valence (Drôme). Il se plaint d'être beaucoup gêné de la respiration. Je pense qu'il a le poumon atteint. Espérons qu'il guérira vite et complètement.
Rien encore d'Hélène ni de Liévin.
Mr Morin serait prisonnier (2 ans) paraît-il pour avoir voulu communiquer avec les Français. On cause, sur les journaux, de donner des permissions aux soldats sur le front.
10 Juillet :  Je ne pourrai pas aller en permission maintenant, il en part un par jour par ordre d'ancienneté au 127°. Je suis le 150° environ.
Rien encore de Liévin.

(page 52)
Mercredi 14 juillet : Quel changement ! Il y a un an à pareille date j'étais bien loin d'ici, loin de penser, de deviner cette guerre, cette misère, cette longue séparation.
(Le) 14 juillet 1914 restera toujours gravé dans mon cœur et (le) 14 Juillet 1915, quelle différence !
D'un côté le bonheur, l'amour ; de l'autre, le malheur, la mort.
Quand donc sera finie cette guerre, quand donc pourrai-je, comme il y a un an, presser mon Hélène bien aimée sur mon cœur, de toutes mes forces.
Mon Dieu, faites que ce soit vite, protégez nous, sauvez nous !
16 juillet 1915 : Nous voici en 1° ligne. Quelle vie ! De la boue jusqu'à mi-jambe ou de l'eau jusqu'au dessus des genoux. Il pleut depuis 2 jours, il ne faut pas demander ce que ce sera en hiver.


Pages 53 et 54 du carnet de Léon Mellard

(page 53)
Lundi 19 juillet 15 : Nous voici au village. Nous avons été travailler cette nuit à 6 km d'ici. Partis à 8H on est rentré ce matin à 4H *** (illisible).
Je crois que nous y allons encore ce soir. Je suis allé à la grand messe à 9H1/2 hier.
Rien encore de Liévin, que c'est long !
Rien de nouveau ici.
Nous sommes à Guyencourt. Nous étions à Villers-Tronqueux aux tranchées. On est ici à 8 km de Berry-au-bac.
Rien reçu de Charles depuis le 5 juin.
On dit qu'il ne reste plus que 500 habitants à Liévin. Si seulement Hélène était partie et revenait en France par la Suisse, quel bonheur.
Jeudi 22 juillet :  Reçue hier de Maman la triste nouvelle de la mort de notre cher Pierre.

Que la volonté de Dieu soit faite et que son âme soit bénie et repose en paix. Il est décédé le 17 ou 18.

(page 54)
Mardi 27 juillet : Nous sommes dans le fort de St-Thierry depuis samedi 24 au matin, faire des tranchées chaque nuit de 8H (du) soir à 3H (du) matin.
Rien de nouveau ici.
Rien encore d'Hélène.
Jeudi 29 juillet : Nous sommes remplacés par la 118° Cie demain soir, paraît-il. Nous irons à 2 km d'ici à Pouillon. C'est à Tilles (Thil) que nous allons faire des tranchées.
Mercredi 4 août 1915 : Nous sommes toujours au fort de St-Thierry. Nous partons ce soir à Coulommes La Montagne environ 12 à 15 km au sud d'ici.
Rien encore de Liévin.
Rosa a écrit au 'Télégramme' (journal) pour demander après Hélène. On lui a répondu qu'Hélène n'est pas sur la liste des personnes restées en pays envahi et d'écrire à Paris, ce qu'elle a fait. Je crois que le journal se trompe. Où serait donc Hélène ? Pourquoi n'écrirait-elle pas si elle le pouvait ?
Sûrement elle est encore, soit à Liévin ou un peu en arrière mais en France envahie. Vite, vite de ses nouvelles.
Nous allons 20 j. en repos.

Notes et commentaires :
A propos de l'échange de pain, de journaux et de courrier
Cela relève de ce que Anne Geslin-Ferron appelle des 'ententes tacites'. Elle cite cette lettre de Dorgelès de novembre 1914
Nous plantons entre nos tranchées et les tranchées allemandes un drapeau français avec des journaux attachés à la hampe. Parfois une lettre. Un Allemand sans arme vient chercher le "courrier". Le lendemain, ils donnent la réponse, après un drapeau qu'un Français va chercher. Et pour rendre la levée plus palpitante, on tire toujours une cinquantaine de coups de feu sur le facteur. 
Voir aussi, un cas d'entente tacite en novembre 1914  cet article consacré au sociologue Robert Hertz et les fraternisations de Noël 1914 dans le carnet de Frédéric B.


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